jeudi 6 janvier 2011

2011-01-06 Courte nuit pour un grand jour


A 22h30, malgré mes bouchons d'oreilles, j'entendais la fermeture éclair de notre tente s'ouvrir. C'était le serveur qui nous apportait du thé et du gruau (pourquoi du gruau? Parce que c'est chaud, ça se mange facilement, ça s'assimile rapidement et c'est full d'énergie!). A ce moment précis, mon état oscillait entre la joie d'y etre enfin, la peur de l'inconnue et le doute de nos capacités a nous rendre au sommet. Avec bien sur une forte dose d'inconscience face a ce qui se passait réellement.

Un collant thermique, un sous-pantalon de polaire et une paire de pantalons. Un T-shirt thermique a manches longues, 2 polaires et ma coquille. Le tout enfilé, j'étais paré pour mettre le nez dehors. Le froid était intense et le petit vent glacial. Mais je n'avais pas froid, un bonnet et des gants complétant la parfaite panopliue du petit grimpeur du dimanche.

La nuit était noire. Le ciel dégagé. Et déjà nous pouvions apercevoir une ribambelle de lucioles, les lampes frontales, qui s'alignaient et cheminaient lentement sur la montagne. Rapidement, tout le camp était animé de ces lumieres blanches qui pourfendaient la noirceur. Le spectacle était plutot impressionnant. On prenait vraiment la dimension de la véritable business que représente l'ascension du Kili. 365 jous par année!

Gabriel et Moody se joignerent a nous pour les dernieres consignes et avant de prendre fois, nous nous mettions en route. Lentement. Pole pole. C'est la un des secrets de la marche en altitude. Prendre un rythme tres lent pour éviter de s'essouffler a cause du manque d'oxygene.

Nous sommes passés devant la cabane des rangers et avons emprunté le petit chemin raide et sinueux devant nous mener vers le sommet. Gabriel en avant, Moody en arriere. C'était parti pour plus de 7 heures de montée.

De nuit, la dynamique était tres différente de celle de jour. Lorsque la lumiere naturelle est la, on aperçoit l'environnement mais on ne voit pas toujours les marcheurs qui nous précedent au loin. Alors on marche, en sachant que ce sera long et pas toujours facile, sans systématiquement avoir de point de repere bien pécis qui nous permette d'évaluer le degré de difficulté. Qui plus est, de jour, notre corps est reposé et notrecerveau a peu pres rationnel. De nuit, c'est tout autre. tout d'abord, il suffit de lever les yeux pour voir gigotter les DEL des marcheurs qui nous précedent. On a alors immédiatement une idée de la hauteur qui nous sépare d'eux. Le visuel est terriblement décourageant. D'autre part, la fatigue vous met dans un état de semi-dormance qui engendre une distortion entre la réalité et ce qui est perçu. Ajoutez a tout cela la raréfaction de l'oxygene et un «néophytisme» certain de la marche en haute montagne et vous aurez un cocentré de bonnes raisons pour que l'épreuve soit... difficile!

Rapidement, le corps se mit en température. Le rythme était bon et tous les indicateurs étataient au vert. 30 minutes. 1 heure. Les grimpeurs formaient un long serpent qui se contortionnait dans le noir. Des groupes plus rapides nous dépassaient. D'autres s'arretaient prendre une pause. Je me concentrais sur mon rythme et ma respiration. Pieds droit en avant, inspiration. Pied gauche, expiration. En avant de moi, JM avait une foulée bien différente. Il me fallait 6 pas pour faire la meme distance que lui en 4. J'ai passé une bonne partie de la montée a focusser sur ce point. On s'accroche a ce qu'on peut!

Nous avons fait quelques rares pauses afin d'avaler quelques friandises énergétiques. 2 minutes. 3 minutes. Mais jamais plus afin de ne pas se refroidir et de ne pas perdre le tempo. Il nous falait aussi boire. Souvent. Mais en petites quantités. Cela demande un effort particulier de boire lorsque le coeur bat a environ 120 coups par minute. Essayer de boire essoufflé. Vous verrez que c'est loin d'etre évident!

Petit a petit, le cerveau met alors le corps dans un état d'inconscience controlée. Le champ de vision se rétrécit pour se concentrer sur le chemin. Sur l'endroit ou mettre son pied. Le rationnel laisse la place au mécanique. On ne réfléchit plus. On avance. On fait un pas apres l'autre. On escalade un rocher. Toute l'énergie disponible est mise a contribution pour soulever le corps. Pour aider le quadriceps a pousser vers le haut. Pour aider le tendon d'Achylle a ramener le talon.

Durant tout ce temps, le guide ne lache jamais un mot ni sur le temps déjà écoulé et la distance parcourue, ni sur le temps restant ou la distance en avant de nous. Parfois, le corps lutte et la tete se tourne pour regarder vers le haut de la montagne. Lever la tete fait perdre sa concentration et casse le rythme. On s'essouffle. On dépense une énergie inutile en plus de se décourager en voyant les minuscules points qui se balancent, si haut dans les airs, si proches des étoiles.

Je me souviens d'une pause. Appuyé a un rocher, la fatigue était déjà intense. L'eau avait gelé dans mon systeme d'hydratation. Je puisais dans les réserves de JM. Mon cerveau fit des siennes et j'ai regardé l'heure. 3h03. Nous avions du faire environ la moitié. Dumoins je l'espérais. La moitié de quelquechose, c'est ce moment précis a partir duquel il vous en restera toujours moins a faire que ce qui a déjà été complété. Cela semble une vérité de La Palice. Mais cela était dans ce cas précis un encouragement nécessaire.

Nous avons repris notre chemin. C'est fou comme la reprise est difficile, aussi court fut l'arret. Les muscles se tendent et expriment leur douleur. Le cerveau a du mal a se remettre en dormance. La motivation en prend un coup. J'ai alors repensé a Santiago, dans l'alchimiste, qui traverse ses épreuves les une apres les autres, sans mot dire, et qui réalise toujours, apres chacune d'entres elles, que toute épreuve n'est qu'une étape de la vie dont on sort plus fort et plus gand. Dans mon hibernation cérébrale, ma tete fourmillait comme dans un reve. J'étais le seul responsable de la situation. Je repensais a la conversaion que nous avions eu avec JM concernant la possibilité que l'un d'entre nous, ou meme que les 2 ne réussissent pas a se rendre jusqu'au sommet. Le non succes. L'échec. La honte. Le regard des autres. Le jugement. L'estime de soi-meme. L'impact sur notre fierté personnelle. Nous ne pouvions pas ne pas y arriver. C'était impensable. Sur le formuaire, nous n'avions pas coché la case «échec possible». Le Uhuru serait a nous et ce n'était qu'une question de temps.

Je me souviens également de pauses que j'ai du demander, exténué. Je n'ai aucune idée du temps qui s'était écoulé depuis notre départ. Je me refusais de regarder ma montre ou bien de lever la tete. Quelques gouttes d'eau et nous repations. Jai encore dans la tete un commentaire de Gabriel, le guide, qui nous avait expliqué un jour que les guides n'aiment pas redescendre sans avoir atteint le sommet. Ce devait etre la raison pour laquelle cette nuit-la, il nous tirait vers le haut, nous montrait le chemin, avec une détermination sans failles. A un moment ou je peinais, il nous expliqua que nous n'étions plus qu'a 30 minutes de Stella point, le col a 5750 metres qui nous menerait au Uhuru pic. Mais mes yeux se leverent et la distance qui nous séparait des lumieres visibles les plus hautes me fit comprendre que le 30 minutes n'avait absolument rien de fondé. Alors j'ai baissé les yeux et j'ai plongé a nouveau dans ma bulle.

En avant de moi, JM était aussi a la peine. L'effort produit était intense. Phénoménal. Exténuant. Je l'encourageais comme un entraineur encourage son cycliste depuis sa voiture. «Allez! On y va. On va le faire ensemble. On est capable. Le sommet est proche. Allez JM... Super! On tient bon». J'imagine qu'il était lui aussi das sa bulle car il n'a rien dit et a continué. Inlassablement. Courageusement.


En arriere de nous, la noirceur commençait a faire place au crépuscule. On distinguait la démarcation de la ligne d'horizon. Pas de doute, l'heure avançait et chaque seconde qui s'écoulait nous rapprochait un peu plus de notre objectif. Notre rythme était dans la moyenne des autres marcheurs et il était clair que nous ne devions plus etre tres loin.


Gabriel était le moteur de notre ascension. Il marchait en avant, infatigable. A un moment, il se retourna et du bout de son batton, il nous pointa un crete sur la montagne. Stella Point. Nous pouvions maintenant avoir un repere visuel. Derriere nous, le soleil se préparait a sortir. Ce ne serait plus tres long.

Les dernieres centaines de metres furent éprouvantes. Mais l'idée de savoir que nous allions gagner notre course sur le soleil était grisante. En haut de nous apercevions maintenant clairement des personnes immobiles, signe que le but était atteint. Le sable et la pente rendaient ces derniers pas surhumain. J'avais l'impression d'etre une pile de laquelle on va chercher la toute derniere énergie disponible. Un drainage complet de tout ce qu'elle contient. Jusqu'à l'épuisement total.

Finalement, le dernier pas. Celui qui nous amenait a 5750 metres d'altitude. 6h15: Stella Point était atteint. -15 degrés. Mais le calvaire n'était pas fini. En effet, une fois rendu sur cette crete, il reste environ 45 minutes de marche pour atteindre le réel toit de l'Afrique: Uhuru pic, qui culmine a 5895 metres au dessus du niveau de la mer. Ce n'est alors plus une ascension a proprement parler. Il s'agit de suivre un chemin qui longe la crete.

 Alors que nous avancions lentement, nous ne pouvions nous empecher de regarder en arriere de nous alors que le soleil se faisait une derniere beauté avant de s'offrir a nous. Et soudain, un premier rayon transperça la brume qui flottait dans la savane. Puis rapidement, l'arc de cercle se forma lentement pour finalement dépasser completement la ligne d'horizon. Quel spectacle. Quel aboutissment. Quelle fierté.


Autour de nous s'etalait le cratere duquel émergeait de gigantesques glaciers de plusieurs dizaines de metres de haut. Il sortait de ces derniers des craquement terribles et sourds qui annonçaient leur rupture. Leur fin. Leur mort. Ils se fissurent et finissent par s'écrouler pour disparaître a tout jamais. La disparition programmée des neiges éternelles du Kilimajaro se passait sous nos yeux.


Apres environ 45 minutes d'une marche pénible ponctuée de nombreux arrets durant lesquels je m'enormais sur mon baton de marche, nous sommes finalement arrivés au bout du bout, en haut du haut. Devant le panneau mentionnant l'emplacement du Uhuru Pic, des personnes faisaient la queue pour se faire prendre en photo. Certains arboraient des T-shirts confectionnés expressément pour cet instant. D'autre avaient emmené avec eux un souvenir, un gris-gris, un objet a mmortaliser sur le toit de l'Afrique, un peu comme Amélie Poulain avec son nain de jardin. Tiens, ça aurait ét drole de se prendre en photo avec un nain de jardin sur le toit de l'Afrique!

Comme tout le monde, nous avons alors fait notre propre séance de photos. Un peu groguis. A tel point que nous avons oublié de faire une photo juste tous les 2! Mais nous en avons une de nous 4 avec Gabriel et Moody et elle est plutot sympa. Wow, on l'a fait!

Objectif atteint: Uhuru pic, le toit de l'Afrique, a 5895 metres
 7h00 du matin. Nous avions mis 7h30 pour atteindre le Uhuru pic a 5895 metres d'altitude. Et puisque tout ce qui monte doit  redecendre, il était maitenant temps de rebrousser chemin pour redescendre vers le camp retrouver le reste de l'équipe pour prendre un bon repas chaud.

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