samedi 15 janvier 2011

2011-01-15 Une journée toute en contrastes

Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, c'est en direct (i.e. le jour même) que je couche sur papier DEL mes impressions de ma journée. Habituellement, j'écris toujours avec quelques jours de délais. Cela pour des raisons pratiques (pas toujours possible d'écrire le jour même),  pour des raisons de temps (écrire prends du temps et je préfère regrouper mes périodes d'écriture pour optimiser mes journées) et également pour des raisons de jugement (il est facile d'écrire des choses sous le l'effet des émotions, au risque de perdre parfois une objectivité nécessaire).

Aujourd'hui, j'écris dans le bruit des vagues d'une piscine, dans le son d'une musique jazzy, dans les couleurs d'un jardin verdoyant, dans l'odeur de l'argent et de l'opulence. J'écris depuis le bar de la piscine de l'«hôtel des Mille Collines» de Kigali. Celui-la même qui a inspiré le film «Hôtel Rwanda». Celui-la même ou le directeur a posé un geste héroïque lors des événements de 1994 en accueillant des centaines de personnes qui fuyaient les atrocités alors que dehors les machettes découpaient arbitrairement toute personne Tutsi ou paraissant comme tel.

Ma journée a commencé après une nuit correcte malgré la discothèque qui a craché ses décibels toute la nuit. Les derniers clients quittaient en chantant a 7h30...

Une des raisons qui a mis le Rwanda sur mon itinéraire est, entres autres (mais surtout) son passé contemporain si torturé et si abominable. Tout le monde a en tête le génocide qui eu lieu en 1994. Mais qu'y a-t-il derrière tant d'horreur? Comment des amis ont-ils pu tuer leurs amis? Des frères violer leur sœur? Des enfants découper leurs parents? Cela est pour moi une intrigue qui m'avait déjà beaucoup interpellé avec la visite de la prison de Tuol Seng a Phnom Penh, au Cambodge, ou est retracée l'atrocité des exactions commises par le régime de Pol Pot.

Kigali Memorial Center
Ce matin, après avoir été déjeuner, j'ai pris une de ces motos taxis qui fourmillent en ville et je me suis fait conduire au «Kigali Memorial Center» qui se trouve sur les flancs d'une colline voisine. Pour être bien honnête, l'émotion était particulierement grande.
Après avoir été fouillé l'entrée, on pénètre dans le bâtiment en forme de fleur. La raison d'être de ce musée est de se souvenir. De ne jamais oublier. Et d'éduquer pour faire en sorte que pareille catastrophe ne se reproduise jamais. Ni ici ni ailleurs. 2 étages proposent chacun une thématique différente.

La partie du bas est consacrée au génocide de 1994 (écrire 1994 me glace le sang car c'était hier...). On résume rapidement l'histoire de ce tout petit pays (28000 km2) d'Afrique. Fin 1800, il y eut la colonisation. Allemande. Puis belge début 1900. La colonisation avec son idéologie, ses déviances, ses excès. Les belges avaient alors introduit la carte d'identité et assigné arbitrairement a chaque rwandais une origine ethnique, Tutsi pour une minorité, Hutu pour la majorité. Les premiers étaient considérés supérieurs et obtenaient des postes a responsabilité alors que les seconds étaient contraints a un rôle de second ordre, pour ne pas dire a l'inexistence. Et ainsi passèrent bien des années de joug colonial.

A l'indépendance du pays, en 1961, les Hutus profitèrent de l'occasion pour s'imposer. Pas dans la dentelle, bien évidemment. Et ils prirent le pouvoir du pays. Un leader aux penchants marxistes instaura un régime dur et totalitaire. Tout le monde devait alors être «égal». Ce pouvoir était alors reconnu et soutenu par de nombreux pays, et plus particulierement par la France qui finança même allègrement l'armement de ceux qui allaient devenir quelques années plus tard les bourreaux des Tutsis.


Début 1990, l'idéologie du régime se durcit et le pouvoir en place rédigea 10 commandements on ne peut plus explicites qui faisaient des Tutsis des «cafards» qu'il fallait éliminer. Le texte est effroyablement précis. Des lors, le génocide n'était plus voilé. En 1990, 1991 et 1992, des massacres de masses, de Tutsis seulement, furent perpétrés. C'était la une sorte de préparation de ce qui allait se passer a l'échelle du pays. Pendant ce temps la, les journaux extrémistes entretenaient la parole «purificatoire» a l'encontre de la minorité Tutsi, ce qui renforçait la rancœur et la haine a leur égard. De son bord, le gouvernement fournit aux milices les listes de tous les habitants du pays en y identifiant les Tutsis.

La situation s'envenimait et les forces de l'ONU sur place le savaient bien. Roméo Dallaire, Lt Gal des forces en place, avait envoyé un communiqué alarmant a l'ONU en indiquant des faits bien précis prédisant la catastrophe qui s'annonçait. Son fax demeura lettre morte.

En mai 1994, l'avion du président fut abattu et dans les heures qui suivaient, sa remplaçante selon la constitution était exécutée. Immédiatement, les barricades étaient érigées dans Kigali et la «purification ethnique» pouvait commencer. Tout le monde était contrôlé et les tutsis immédiatement abattus. Froidement. Sur place. A coups de machette, de gourdin, de batton, de pierre... Les maisons furent fouillées l'une après l'autre. Systématiquement, les Tutsis étaient éliminés. Tout comme les personnes issues d'une union mixte. Il ne fallait pas qu'il en reste un seul.

L'ONU envoya des renforts... pour évacuer les occidentaux. Sans bien évidemment offrir aucune opposition aux exactions en cours sur les civils rwandais. Le plus ironique dans l'histoire, c'est que l'ONU a envoyé pour l'évacuation un nombre de soldats qui auraient été amplement suffisants pour mater la rébellion et faire revenir la paix au lieu que tout ne dégénère. Au lieu de cela, on vota au conseil de sécurité une résolution qui condamnait la situation au Rwanda... et en même temps le retrait des 270 casques bleus officiellement en poste au Rwanda. Nous avons donc fermé les yeux et laissé ce génocide se perpétrer en toute impunité. Donneurs de leçon les occidentaux? Laissez moi douter (j'avais écrit «rire») une fois de plus de notre sainte parole...

Ce qui est abominable dans ces événements (et qui me frappe), c'est la barbarie qui s'est emparée des humains. L'indicible a eu lieu. Les gens étaient découpés a la machette. Enterrés vivants. Immolés. Lapidés. Les enfants assistaient a l'exécution de leurs parents avant de subir le même sort. Les frères assistaient au viol de leur sœur. D'autres mutilés et laissés la, agonisant dans les rues, le crane ouvert en 2...
 Certes, des images terrifiantes sont présentes dans l'exposition. Car cela est la vérité et ces événements ont eu lieu. On ne peut les nier. Et il faut en être conscient pour surtout faire en sorte qu'ils ne se reproduisent plus (l'histoire des années suivantes nous a bien malheureusement montré le contraire).

L'exposition se termine sur une note positive. Sur l'avenir. Le gouvernement en place de Paul Kagame  semble avoir fait depuis plus de 15 ans un travail de fond plutôt bien ficelé. Le message n'est pas a l'oubli. Loin de la. Mais plutôt a l'unité nationale. C'est difficile en voyant la barbarie de ce qui s'est passé, certes. Mais le résultat semble probant. Chaque année est commémorée une journée du souvenir et de réflexion. Il est aujourd'hui interdit de demander a quelqu'un son origine ethnique. On ne revient pas sur le passé. Des tribunaux populaires, les Gacaca (prononcer gatchatcha), se chargent de juger et de condamner les tortionnaires en leur faisant raconter en public ce qu'ils ont fait durant le génocide, les actes qu'ils ont commis, aussi barbares soient-ils. Les plus hauts responsables sont quant a eux jugés a Arusha, en Tanzanie, ou se trouve le tribunal spécial de l'ONU pour le Rwanda. Et le pays semble panser ses plaies, petit a petit. Et être sur la voie d'un avenir plus pacifique que son passé.

La suite de la visite se passe a l'étage ou l'ONG Aegis a fait une rétrospectives des grands génocides passés: les herreros en Namibie, les arméniens sous l'empire Ottoman, les juifs pendant la seconde guerre mondiale, le Cambodge en 1975, et bien évidemment l'ex Yougoslavie dans les années 2000. Décidément, les années passent et il semblerait que l'histoire veuille se répéter. Sans que nous n'apprenions. Pauvres de nous. La question qui m'est venue en sortant de la, c'était: «qui sont les prochains»?

Enfin, la dernière partie de la visite est en quelques sortes un «vaccin psychologique» afin de sensibiliser le visiteur a un impact bien précis d'un génocide, une sorte de dommage collatéral qui a des répercussions incalculables: la disparition d'une génération complète d'individus et le résultat sur la société d'un pays. En effet, cette dernière exposition traite des enfants rwandais qui ne seront jamais devenus des adultes. Sur le mur, d'immenses photos d'enfants. De vraies photos. Les dernières et parfois les seules que les parents et la famille avaient du petit dernier ou de la petite dernière qui a été tuée lors du génocide. Pardon, non pas tué(e)... mais exterminé. Devant chaque portrait, un petit écriteau. On retrouve quelques lignes. Le nom de l'enfant. Son age. Des informations variées, comme son plat préféré. Son activité de prédilection. Son sport favori. Son ou sa meilleure ami(e). Et la dernière ligne, qui vous transporte instantanément dans un gigantesque bloc de glace: c'est la méthode utilisée par les bourreaux pour le ou la tuer. Découpé(e) a la machette. Abattu(e) d'une balle de fusil. Jeté(e) conte un mur. Yeux crevés a l'aide d'un objet contondant. Violé(e). Lancé(e) dans une fosse septique. Tête fracassée a coups de gourdins... (pause confuse du narrateur).
Sans commentaires

Après une telle épreuve pour notre imaginaire (ça fait partie de ces instants de la vie ou notre cerveau apprend que certaines choses peuvent arriver – dans le cas présent une telle barbarie – sans jamais avoir pu imaginer un instant qu'elle existe dans l'humanité), on sort du bâtiment et la visite se poursuit a l'extérieur.

Kigali Memorial Center: fosse commune
Autour du mémorial, de beaux et grands jardins ont été aménagés. C'est la un sanctuaire pour des dizaines de milliers de victimes de Kigali. D'immenses fosses communes en regroupent plus de 250000. Une sépulture décente a toutes ces personnes ramassées dans les rues, dans les rivières, dans les forets, et qui n'ont pas échappé a la folie meurtrière des miliciens.

Autant dire qu'en sortant de la, je me sentais très ému, bien évidemment, mais également plus léger. Plus léger d'avoir appris. D'avoir grandi. Car je demeure convaincu que d'avoir dans la face ce degré d'inhumain nous fait apprendre un peu plus a aimer les humains. Leurs différences, leurs cultures et leurs croyances. Car en s'aimant et en se respectant, aussi différents que nous soyons, alors nous éviterons peut-être de nous entretuer. En quelques sortes «vivre et laisser vivre».

Après une telle expérience, je sentais mon énergie a terre, comme si ces 2h30 de visite avaient tout drainé. Je suis donc allé manger un morceau avant d'aller me reposer a l'hôtel.

Hôtel des milles collines
Ce soir, j'écris donc depuis la terrasse de l'hôtel des Mille Collines. Un peu paradoxal, n'est-ce pas, d'être dans cet hôtel 5 étoiles alors qu'il y a quelques heures a peine j'étais confronté a la mocheté, a l'atroce et a l'insupportable. Mais bien au contraire. C'est ici un symbole de la résistance dans ce mouvement sanguinaire. Un écrin qui a su survivre a l'horreur momentanée des hommes. Et la musique douce qui est jouée en ce moment est a la fois comme un baume passé sur une histoire torturée et un gage d'avenir plus serein pour un pays dont les habitant méritent bien mieux que ce qu'ils ont subi jusqu'à date.

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